Le stade des victoires

De 1957 à 1982, l’ASSE connait ses plus beaux succès. Pour le stade Geoffroy-Guichard, cette période correspond à celle du début de sa configuration à l’anglaise. Sa mutation est profonde et il prend presque la configuration qu’on lui connait aujourd’hui.

Depuis l’été 1957, le stade Geoffroy-Guichard est un stade de football et seulement un stade de football. Les spectateurs et observateurs vont vite oublier la piste où on courait et les arrivées du Tour de France.

L’équipement appartient à la Société immobilière du stade Geoffroy-Guichard, c’est-à-dire à Casino. Il coûte cher, très cher. Il faut l’entretenir avec une vingtaine de joueurs qui labourent la pelouse tous les 15 jours, avec des dizaines de milliers de spectateurs qui piétinent sols comme environs sans compter les tonnes de détritus laissés à chaque rencontre.

Il faut le mettre aux normes, pourtant modestes à l’époque, le moderniser, l’agrandir… Et c’est un vieux stade : une tribune en béton, une autre en bois bien vieillissante et deux talus derrière les buts… Sans parler de l’éclairage, inexistant mais pas obligatoire jusque-là puisque le championnat de France se joue les après-midi.

Un stade communal

 Sous le mandat de Michel Durafour, la municipalité stéphanoise devient propriétaire du stade Geoffroy-Guichard

Sous le mandat de Michel Durafour, la municipalité stéphanoise devient propriétaire du stade Geoffroy-Guichard. Photo archives Progrès

Sous le mandat de Michel Durafour, la municipalité stéphanoise devient propriétaire du stade Geoffroy-Guichard. Photo archives Progrès

La vente, on en parle depuis des années. Mais Casino ne veut pas le lâcher à n’importe quel prix et la Ville n’entend pas l’acquérir à n’importe quelles conditions… Les pourparlers se concrétisent enfin en 1965 avec le nouveau maire Michel Durafour. La municipalité stéphanoise devient propriétaire du stade Geoffroy-Guichard contre la somme de 1 514 373 francs. En échange, elle s’engage par un bail de 30 ans à le louer à l’ASSE contre un loyer annuel de un franc. Cette condition est la moindre d’entre toutes.

Car pour le reste, la Ville s’engage à transformer le bâtiment. L’agrandir et le moderniser pour une équipe qui a de grandes ambitions. Cela commence par l’éclairage. En effet, le championnat se déroule en nocturne à partir de 1965 et il faut vite réaliser les travaux. Ceux-ci ont d’ailleurs lieu avant la vente. C’est une entreprise allemande, Ott, qui remporte l’appel d’offres. Leurs ingénieurs imaginent quatre grands pylônes plantés à chaque coin du terrain. Ils participent au paysage jusqu’aux travaux en prévision de la Coupe du monde 1998.

Trois nouvelles tribunes couvertes

La tribune Henri-Point a été construite en bois en 1938. Elle a vieilli et devient dangereuse. Alors qu’elle est remplie régulièrement, l’ingénieur divisionnaire de la Ville rend un rapport qui fait mal en septembre 1965. Il préconise une interdiction d’accès : les escaliers sont pourris, ils peuvent s’écrouler. Les travaux ne vont pas se réaliser tout de suite. Ils vont englober de nouvelles tribunes à la place des talus derrière chaque but. Le stade est en chantier pendant plusieurs mois. Pendant ce temps, les joueurs des entraineurs Jean Snella (1963-1967) et Albert Batteux (1967-1972) remportent cinq titres de champion de France. Sur les photographies d’époque, les spectateurs se mouillent sous la pluie sur les talus, l’usine à gaz se voit en direction du Nord tout comme les usines métallurgiques du Marais à l’Est. Un environnement bientôt révolu.

L’usine à gaz se voit en direction du Nord tout comme les usines métallurgiques du Marais à l’Est.

L’usine à gaz se voit en direction du Nord tout comme les usines métallurgiques du Marais à l’Est. Photo archives Progrès

L’usine à gaz se voit en direction du Nord tout comme les usines métallurgiques du Marais à l’Est. Photo archives Progrès

Le nouveau stade est prêt le 30 janvier 1969. Le terrain est désormais entouré de quatre tribunes couvertes : l’ancienne tribune d’honneur et les trois nouvelles, au Nord, au Sud (toutes deux accueillent les spectateurs debout) et Henri-Point, dotée de places assises. La capacité de Geoffroy-Guichard est portée à 39 570 spectateurs et il faudra bien cela avec les rencontres de Coupe d’Europe à venir. Le stade, vu du ciel, a l’apparence d’une marmite avec des tribunes resserrées sur elles-mêmes. Il n’est ni très grand, ni monumental, ni beau (un assemblage de béton et de tôles !) mais attire l’attention par son apparence, sa silhouette et gagnera bientôt son surnom de « chaudron ».

Le stade moderne

Il y avait du monde pour l'inauguration en 1972.

Il y avait du monde pour l'inauguration en 1972. Photo archives Progrès

Il y avait du monde pour l'inauguration en 1972. Photo archives Progrès

Salle des trophées, salle d’honneur, restaurant, bar ont été ajoutés. Photo archives Progrès

Salle des trophées, salle d’honneur, restaurant, bar ont été ajoutés. Photo archives Progrès

A cette époque, le président Roger Rocher entend faire fonctionner l’ASSE comme une entreprise (malgré son statut associatif) et aimerait regrouper tout le monde sur le même site. Or, les joueurs s’entrainent et affrontent leurs adversaires au stade tandis que dirigeants et personnels administratifs ont leurs bureaux rue de la Résistance. C’est ainsi que le siège administratif est construit, adossé à l’arrière de la tribune d’honneur. Inauguré en 1972, son architecture moderne marque son époque avec sa façade de verre. Le rez-de-chaussée fait fonction d’accueil où visiteurs, personnels et joueurs peuvent se croiser.

Le bureau de Roger Rocher.

Les bureaux administratifs sont au premier étage. Le niveau supérieur est celui d’apparat. C’est là que les réceptions sont organisées et sponsors, partenaires, adversaires accueillis : salle des trophées, salle d’honneur, restaurant, bar. Enfin, le dernier étage accueille le centre de formation. Les jeunes joueurs vivent ici et non plus dans les appartements loués en centre-ville. Moins tentés par les attraits de la ville, leur mode de vie est plus conforme à leur futur statut de sportifs professionnels.

Les joueurs professionnels bénéficient aussi des nouvelles installations. Les vestiaires sont modernisés et une piscine intérieure, par exemple, leur sert d’outil de récupération après match comme entrainement. Une salle de musculation apparait avec appareils et vélo d’appartement. Il faut dire que le style de jeu de l’équipe à partir de sa prise en main par Robert Herbin implique une participation physique intense à l’image du « football total » que l’entraineur veut pratiquer. Chaque joueur supplée son coéquipier en cours de match et il faut supporter cet effort de la première à la dernière minute. D’où les sorties en ski de fond au Bessat en hiver, les exercices sur le terrain annexe ou les appareils de musculation dans les locaux du stade.

Robert Herbin emmenait ses joueurs au Bessat : ski de fond au programme. Photo archives Progrès

Robert Herbin emmenait ses joueurs au Bessat : ski de fond au programme. Photo archives Progrès

Un stade ? Non, un chaudron

Les Verts avaient dominé les Yougoslaves en 1974.

Les Verts avaient dominé les Yougoslaves en 1974 (5-1). Photo archives Progrès

Les Verts avaient dominé les Yougoslaves en 1974 (5-1). Photo archives Progrès

La ferveur du Chaudron était déjà connue en 1974.

La ferveur du Chaudron était déjà connue en 1974. Photo archives Progrès

La ferveur du Chaudron était déjà connue en 1974. Photo archives Progrès

Avec le début des exploits européen, le club gagne une réputation et le stade un surnom. Celui-ci vient de la presse yougoslave. A l’automne 1974, les joueurs d’Hadjuk Split viennent très confiant disputer leur match retour de Coupe d’Europe des clubs champions. Ils l’ont emporté 4-1 chez eux… Ils se font pourtant retourner comme des crêpes. Grâce à Bereta et ses copains, ils perdent 5-1 et les Stéphanois gagnent le droit de jouer les quarts de finale. Le public a poussé fort tout le match et le lendemain, les journalistes yougoslaves parlent de l’impression d’avoir été dans un « chaudron » quand ils évoquent l’ambiance bouillante. Le public stéphanois devient ainsi presque officiellement le 12e homme avec le stade comme caisse de résonance. Celui-ci devient un territoire hostile aux adversaires, même à ceux qui pensaient avoir fait le plus dur par une large victoire initiale : après Split, c’est le Dynamo Kiev qui plie (0-2, 3-0) en 1976, puis Nantes (0-3, 5-1) en 1977 ou le PSV Eindhoven (0-2, 6-0) en 1980. Les supporters se font entendre aux quatre coins de la ville en fonction du vent.

Dans les tribunes derrière les buts, la foule est tellement compacte que personne ne peut réellement bouger. Il faut uriner sur place, par terre ou dans une bouteille. Rejoindre les toilettes est impossible après le coup d’envoi. De même, les joueurs des deux équipes traversent la foule pour rejoindre les vestiaires après l’échauffement réalisé sur le terrain annexe situé derrière la tribune Sud. L’environnement même joue sa partition dans le décor. Les fumées des anciennes usines Barrouin participent à l’identité ouvrière, elle-même si bien représentée par le style de jeu de l’entraineur Robert Herbin basé sur l’engagement physique de tous les instants.

Le combat a été rude tout au long de la rencontre face aux Yougoslaves. Photo archives Progrès

Le combat a été rude tout au long de la rencontre face aux Yougoslaves. Photo archives Progrès

Au début des années 1980, l’histoire va bifurquer, le football va entrer dans l’ère moderne, l’ASSE va rentrer dans le rang avec l’affaire de la Caisse noire et le stade va changer de physionomie pour répondre aux contraintes et aux compétitions internationales. Il sera encore plus grand, plus impressionnant mais quelque part, l’âge d’or de Geoffroy-Guichard va se conjuguer au passé…