Geoffroy-Guichard :
le stade omnisports
Il porte le même nom depuis bientôt 90 ans : « stade Geoffroy-Guichard ». Et pourtant, c’est la seule chose immuable car il a bien changé. Il est même complètement méconnaissable aux yeux d’un contemporain des années 1930. Retour sur les premières années de la cathédrale du football stéphanois.
19 mai 1930. Parmi toutes les dates importantes, si nombreuses, dans l’histoire du stade Geoffroy-Guichard, celle-là compte peut-être un peu plus….
Ce jour-ci, le patron de l’entreprise Casino et la société Adosia signent l’achat à la famille Bernou de Rochetaillée d’un vaste terrain de 40 000 m². Celui-ci est situé dans le Marais, quartier situé au nord-est de Saint-Étienne, coincé entre le parc des sports de l’Etivallière et les usines métallurgiques, imposantes et signées de fumées de cheminées qui feront plus tard la réputation de l’enceinte.
Un stade pour un club
Si l’Association sportive de Saint-Étienne (ASSE) n’existe pas encore, le début de l’histoire remonte à une dizaine d’années avant. L’Association sportive de Casino (ASC) est créée en 1920 et symbolise la politique sociale de Casino.
La société, fondée en 1898 par Geoffroy Guichard, tout en multipliant les ouvertures de succursales dans la France entière, inaugure une société de secours mutuel en 1905 puis des allocations familiales pour son personnel l’année suivante. Elle organise aussi les loisirs avec l’Union musicale en 1912 puis le Groupement amical des employés qui comprend des sections de jardinages, d’arts et de jeux de boules. C’est ainsi qu’Albert Jacquet, le secrétaire général de Casino, fonde l’ASC le 29 mars 1920. C’est un club omnisports qui se consacre essentiellement à l’athlétisme, notamment le cross-country, et le football.
La famille Guichard fait aménager un terrain proche du siège social, au Pont-de-l’Âne. Bientôt, sous l’impulsion de Pierre Guichard, fils de Geoffroy et passionné de sport, les sportifs extérieurs à l’entreprise sont acceptés. Le basket apparait en 1925 et l’ASC devient l’Association sportive stéphanoise le 17 mai 1927. Une section rugby est créée en 1929, pratique qui va prendre de l’importance.
Face à cette expansion qui concerne tous les sports, le stade du Pont-de-l’Âne devient trop petit et l’agrandir est impossible. Pierre Guichard cherche alors un terrain. Et c’est ainsi que son père et Adosia, société filiale de Casino acquièrent un terrain dans le Marais…
Le stade Geoffroy-Guichard
Le terrain est acquis, il reste à construire un stade et à réunir les fonds. La famille Guichard crée la société Les Amis du sport le 10 août 1930. Les sociétaires, à l’issue de la première réunion, décident de nommer le futur stade du nom du patron de Casino : Geoffroy-Guichard. L’appel à souscription est entendu : plus de 600 000 francs sont réunis en quelques semaines. L’entreprise Bouhana est choisie pour mener les travaux. Celle-ci a de sérieuses références, elle a construit le stade olympique de Colombes (futur stade Yves-du-Manoir). Il faut dans un premier temps aménager le terrain bien marécageux en un pré plat et agréable. 11 000 mètres cube de terre sur 30 centimètres de profondeur sont ainsi étalées. Le travail est assez efficace car le terrain ne sera pas inondé par la suite.
Le stade Geoffroy-Guichard primitif nait ainsi. Il s’agit d’un stade omnisports avec un terrain central entouré d’une piste d’athlétisme en cendrée et d’aires de saut. Une tribune construite en béton armé, et sans poteau pour ne pas gêner la visibilité, compte 800 places assises. Dessous sont configurés les vestiaires, douches, bureau et logement du gardien. Une main courante est aménagée pour les spectateurs.
L’inauguration
Le nouveau stade Geoffroy-Guichard est-il si important ? En tout cas, les personnalités sont nombreuses le 13 septembre 1931 lors de son inauguration. Le choix et l’ordre des manifestations sportives en disent long sur la hiérarchie des disciplines à l’époque. La journée commence ainsi par un match de football entre l’AS Cannes et l’Entente stéphanoise, composée de joueurs de l’ASS-Stade forézien universitaire et du Saint-Étienne football-club. Les Stéphanois, malgré les renforts de ces clubs, perdent lourdement 9 buts à 1. Le temps de la domination nationale voire européenne n’est pas encore arrivé… On enchaine avec la coupe Thiriez et là, il s’agit d’athlétisme, une course à pied par équipe de trois relayeurs.
Des exhibitions de sauts et de lancers prennent la suite. Enfin, le clou de l’inauguration clôture la journée : un match de rugby ! L’AS Montferrand bat l’ASS-Stade forézien universitaire 32 à 11. Un banquet au Grand-Hôtel, situé avenue Président-Faure (actuelle avenue de la Libération), rassemble les personnalités en soirée.
Agrandissements et modifications
La tribune d’honneur est agrandie par deux ailes latérales en 1936. À cette époque, l’ASS est devenue ASSE depuis 1933 et les joueurs, professionnels, évoluent en deuxième division. Le président Pierre Guichard veut à tout prix faire monter son club dans l’élite et recrute de manière onéreuse. Les spectateurs voient ainsi du beau monde sur le pré, joueurs internationaux parfois étrangers. Les entraîneurs viennent aussi de loin, Hongrois ou Anglais et le premier Français à s’installer sur le banc est Émile Cabannes en 1941.
Des travaux plus importants surviennent en 1938. Un mur de clôture et des guichets sont construits du côté de la rue de la Tour, les buttes en terre sont aménagées derrière les buts pour rassembler le public.
Enfin, une nouvelle tribune couverte est bâtie, en bois, face à la tribune d’honneur : la tribune Henri-Point. Son nom de baptême rend hommage à un ancien dirigeant de Casino, décédé assez jeune et passionné de rugby. L’ensemble des travaux permet d’accueillir plus de 15 000 personnes.
Du stade omnisports
au stade de football
La suite de l’histoire saute directement jusqu’à la fin des années 1950. À cette époque, l’ASSE est devenue un des clubs phare du football français. Les premiers titres sont gagnés avec la coupe Drago en 1955 et surtout le premier titre de champion de France en 1957.
Depuis sept ans, l’équipe est dirigée par Jean Snella et celui-ci, en privilégiant les jeunes joueurs, a construit patiemment une ossature qui pratique, selon le reporter de France-Soir, un « football rock-and-roll ». Les succès aidant, il faut faire évoluer le stade.
Un premier projet ne voit pas le jour. Edouard Hur, un des architectes en vue de l’époque, sonde le sous-sol. Des galeries de mine anciennes courent en effet quelques mètres sous la surface. Pourquoi sonder le sol ? Le club a en fait un projet de chantier d’importance. La tribune d’honneur serait conservée tandis qu’Henri-Point devrait être détruite. L’architecte imagine une seule tribune, couverte, sur les trois autres côtés du terrain. Des angles sont prévus tandis que la piste d’athlétisme disparaitrait. La capacité pourrait être augmentée jusqu’à 40 000 spectateurs. Le coût, estimé à 105 millions de francs, est finalement prohibitif pour Adosia. Il faudra attendre l’Euro 2016 pour boucher les angles de Geoffroy-Guichard et conserver son identité de stade à l’anglaise !
Car le stade à l’anglaise nait avec le deuxième projet de travaux, qui lui se concrétise toujours sous la direction d’Edouard Hur. Le chantier est plus modeste mais change la physionomie du stade : la piste est supprimée, la forme de l’ensemble devient rectangulaire. Les travaux sont menés par la Société forézienne de travaux publics. Son patron ? Roger Rocher… Les gradins debout derrière les buts sont revus et le stade peut ainsi accueillir plus de 30 000 spectateurs. Les travaux sont somme toute modestes à la hauteur des moyens financiers de la famille Guichard et d’Adosia qui ne sont pas parvenus à vendre l’infrastructure à la Ville. Ce n’est qu’une question de quelques années. En attendant, la Société immobilière du stade Geoffroy-Guichard est créée, son adresse est identique à celle de l’ASSE : 13 rue de la Résistance. Elle devient propriétaire du stade.
Celui-ci est à la veille de vivre de grandes évolutions, agrandissements, modernisations. Cela tombe bien : en septembre 1957, l’ASSE débute sa carrière européenne contre les Glasgow-Rangers. Le début d’une habitude bien agréable pendant près de 25 ans.