Comment notre rédaction a traité l'arrivée du Covid dans la Loire

Des nouvelles informations arrivent tous les jours au sein des rédactions. Traiter des nouveaux sujets fait partie intégrante de notre métier, de la routine. Moins routinier, cependant : aborder une pandémie mondiale et arriver à traiter cette actualité le plus justement possible.

Photo Progrès/Philippe VACHER

Photo Progrès/Philippe VACHER

Dans la salle de pause de la rédaction de Châteaucreux, ce midi-là, deux de nos collègues hypocondriaques et… visionnaires s’alarment : « On a peur que le virus chinois arrive ici. » On est fin janvier 2020. Autour de la table, tout le monde leur rit au nez : « D’ici que ça arrive à Saint-Étienne... »

Pendant qu’on rit, insouciants de ce qui nous attend, de l’autre côté, à la rédaction, d’autres sont plus censés et écrivent le premier article sur le Covid-19, le 22 janvier : « Comment le CHU de Saint-Étienne gère le nouveau coronavirus ».

Samedi 8 février 2020, l’hôpital Nord accueille ses premiers patients positifs au coronavirus. Il s’agissait d’un couple d’Anglais, qui était en vacances en Haute-Savoie, avec un Britannique qui avait séjourné à Singapour. Au total, cinq cas de coronavirus ont été détectés.

Dominique Goubatian, journaliste aux informations départementales de la Loire, est de permanence ce week-end-là. « Il avait été dit dans les matinales radios que les patients avaient été dispatchés dans des hôpitaux de la région. On avait eu vent qu’il y avait un couple qui étaient au CHU de Saint-Étienne mais sans en avoir la certitude. »

« C’est marrant de relire les termes qu’on employait »

Plus tard dans la journée, un communiqué du CHU de Saint-Étienne tombe dans les boîtes mails des rédactions. L’établissement hospitalier a été sollicité par plusieurs médias, dont le nôtre. Il confirme l’information qui circulait.

« Tout le monde était un peu interloqué. Comme on ne savait pas trop de quoi il s’agissait vraiment, les patients étaient à l’isolement… »

Un an plus tard, il relit son article imprimé sous ses yeux : « Nouveau coronavirus, c’est marrant de relire les mots qu’on employait, l’écriture… ″Une infection de ce type″, les termes étaient vraiment généraux. »

En janvier, et même en février, pour les médecins et encore plus pour les journalistes, il y avait encore beaucoup d'inconnues autour de ce virus.

« Quand je relis mon article, je suis très étonné,
on n’est plus dans le même monde aujourd’hui »

Photo Progrès/Rémy PERRIN

Photo Progrès/Rémy PERRIN

À l’époque, tous les noms ont été donnés au Covid-19 : virus chinois, pneumonie, grippe, grippette (par les plus sceptiques), nouveau coronavirus… « Je me souviens de me réveiller, d’allumer franceinfo et d’entendre une brève parlant de la ″pneumonie chinoise″ », se remémore Rémy Perrin, photo-reporter pour La Tribune-Le Progrès.

Il a été l’un des premiers journalistes à pénétrer dans un service de réanimation de l’Hôpital privé de la Loire. « En ressortant de cette visite, je me suis dit que ce n’était pas une petite grippe. J’ai vu trois personnes s’étouffer sur le ventre, agoniser lentement, les médecins étaient un peu en panique. »

Le choc des photos

La prise de conscience du réel risque de ce virus a finalement été longue, même pour les journalistes de nos rédactions qui traitaient ce sujet tous les jours. « Ce reportage m'a tout de suite alerté sur ce qu'il y avait à respecter : désinfecter le matos, se mettre du gel, je dois avoir 50 masques dans ma bagnole... »

Entre rapporter les chiffres de l’Agence régionale de santé (ARS) sur les personnes hospitalisées tous les soirs dans une infographie (ou dans notre live « confinement »), et voir de vrais cas ou des images prises dans les différents services de réanimation visités… le choc des photos a fait son effet.

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Toutes ces photos ont été prises par Rémy Perrin, lors du premier reportage dans une unité Covid d'un hôpital de la Loire.

« Ce que je ressentais au début, c'est qu'on prenait ça comme une forme de grippe grave. Mais bon sans penser que ça allait prendre des proportions telles », se remémore Dominique Goubatian.

Lui qui a traité l’information sur les premiers cas de Covid hospitalisés dans la Loire se rappelle : « On se disait que c’était un cas, c’était le premier cluster, on pensait que ça allait se résoudre, les hôpitaux nous disaient qu’il n’y avait ″rien de dramatique″. Des chambres sont toujours réservées en cas d’épidémie, c’est valable aussi bien pour la grippe que pour autre chose. »

Dans le Forez, l'ambiance est devenue rapidement inquiétante. Naël Dandachi, chef de l'agence, confirme : « Les Ehpad (établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes) étaient pas mal touchés. »

« On a essayé de laisser de la place au positif »

Il a fallu traiter cette information, créer des liens avec les directeurs et directrices d'établissement de soins afin de rapporter aux lecteurs la situation. Mais comment appréhender cette actualité mondiale ?

« On était très pédagogues, on a expliqué les gestes "barrière" à respecter en essayant d'être au maximum clairs, explique Naël Dandachi. Et surtout, on a essayé de laisser de la place au positif comme les belles initiatives locales : le fleuriste de Bonson qui offre ses fleurs aux Ehpad, etc. »

Éric Garrivier, chef d'agence du Roannais, corrobore : « Il a fallu se réinventer. Il n'y avait plus de rendez-vous donc on a compté sur les initiatives personnelles pour parler de ce qui se mettait en place durant le confinement. »

Aller « au devant de l'info »

Les correspondants locaux, l'un des maillons essentiels de la réalisation du canard, ont aussi pris « la vague de plein fouet ».

« Ils avaient les mêmes contraintes de déplacement que nous, on a échangé sur les modes de traitement, ils allaient au devant de l'info. C'était un moment particulier parce qu'on ne pouvait plus les voir mais globalement, ils ont plutôt répondu présents. Je les ai senti impliqués dans la vie du journal », souligne le chef d'agence du Roannais.

Partout, dans tous les services de la rédaction, et comme dans tous les métiers à ce moment-là, l'adaptation a été le maître-mot pour faire face au Covid.

« Montrer le virus tel qu'il est sans minimiser,
sans pathos »

Trois questions à Rémy Perrin, photo-reporter à La Tribune-Le Progrès

Comment illustrer le confinement, le vide ?

« Il faut trouver tout ce qui pouvait symboliser l'absence humaine, les derniers services dans les restaurants, les terrasses avec les tables repliées, tout le retrait de l'activité... C'est un challenge difficile de montrer l'absence mais finalement c'est assez graphique. »

Comment t'es-tu préparé aux reportages en immersion dans les services Covid ?

« On a été équipés comme les soignants : blouse intégrale, charlotte, masque... Au bout de deux heures t'en peux plus.

C'est un sujet qu'on aborde très délicatement, en prenant le temps de se faire un peu oublié. Il faut avoir une finesse d'approche, respecter l'anonymat des patients et écouter ce que les médecins avaient à dire. »

Quel regard portes-tu sur ton travail un an après ?

« Je m'estime plutôt chanceux d'avoir pu sortir, de faire du terrain. Même en confinement, je n'ai pas pu m'empêcher de balancer des images. Raconter ce qu'il se passe, c'est notre boulot. Parfois, il y avait même pas un pigeon dans la rue. À chaque allocution d'Emmanuel Macron, je sortais et tout de suite j'essayais d'illustrer ce qui était en train de se passer. De quoi mettre dans le canard.

On a essayé de montrer cette crise frontalement, le virus tel qu'il est sans minimiser, sans pathos. D'être un journal qui montre l'époque actuelle, d'être dans le juste même si parfois les lecteurs en ont ras-le-bol de ce sujet. »

Photo Progrès/Rémy PERRIN
Photo Progrès/Rémy PERRIN

Le soir où on a compris que c'était grave

La tête dans les élections municipales, grande échéance pour un journal de presse quotidienne régionale, la première allocution du président de la République, Emmanuel Macron a inquiété tout le monde. Allait-il reporter les élections municipales ?

Égoïstement, peu de journalistes le souhaitaient. Des mois de travail à suivre les campagnes des candidats, à imaginer des contenus web et print auraient été mis à la poubelle. Ce soir-là, tout le monde ou presque se souvenait de ce qu'il faisait.

Eric Garrivier, chef de l'agence de Roanne, l'avoue : il ne s'en souvient pas. « J'ai peut-être eu la volonté d'effacer tout ça de ma mémoire... »

Naël Dandachi, dans le Forez, a regardé le discours à l'agence de Montbrison avec un de ses collègues : « On s'est dit "il va falloir qu'on s'adapte". Ça nous a mis un petit coup sur la tête. C'est un scénario de série Z, c'était inconcevable que la société du XXIe siècle s'arrête à cause d'un virus. Jamais de la vie j'aurai cru en être là un an après. »

Rémy Perrin, quant à lui, était prêt à dégainer son appareil photo, dans un bar de Saint-Étienne. « De suite, j'ai pris en photos les serveurs qui étaient en train de servir les dernières bières. Jamais j'aurais dit que ça allait durer. »